Les chimères de Françoise Pétrovitch à l'Institut Pasteur - interview de l'artiste
Initié en 2020, le projet d'installation de deux grandes sculptures en céramique réalisées par Françoise Pétrovitch pour l'Institut Pasteur a désormais vu le jour. Depuis l'idée initiale jusqu'à sa réalisation, Françoise Pétrovitch revient dans cette interview sur les différentes étapes de son processus de création.
Françoise Adamsbaum (FA) : Comment t’es venue l’idée de travailler sur ces animaux hybrides ?
Françoise Pétrovitch (FP) : L’idée m’est d’abord venue au cours d’une visite de la crypte de l’Institut, avec tous les animaux en mosaïque représentés, puis dans un second temps avec l’explication des recherches de Pasteur qui a travaillé à partir des animaux, mais également pour sauver les animaux. Ce qui m’a surprise c’est qu’il y avait des espèces très variées : libellules, singes, vaches, poules, rats, chauve-souris, etc. J’ai donc trouvé un éventail très large de formes et il m’a semblé intéressant de resynthétiser ce vocabulaire formel dans deux sculptures qui deviennent des chimères. Dans ces sculptures on ne reconnaît pas une chose mais plutôt des assemblages, dans une idée de chemins multiples de la création. On retrouve aussi l’idée de la recherche scientifique et de la recherche plastique qui se font avec des amalgames.
FA : Parlons justement du matériau et du processus de fabrication. Ce qu’il y a d’intéressant avec le matériau de la céramique c’est que tu travailles presque à l’aveugle, c’est une expérience intuitive où tu sais ce que tu fais mais où tu découvres le résultat visuel seulement à la fin. C’est intéressant parce que c’est finalement la même logique expérimentale qu’on retrouve dans la recherche, où l’on trouve - ou bien on ne trouve pas - seulement à la fin.
FP : D’abord je travaille avec un dessin à l’aquarelle, où la forme sort assez spontanément. Après il y a la phase de la maquette. Dans le cadre de ces sculptures il s’agissait d’une commande avec la contrainte spécifique d’installer les pièces dans des niches. Les proportions des sculptures sont donc complètement féodées aux proportions de la niche. Suite aux petites maquettes intervient la phase de remodelage en grand. A ce stade ça devient compliqué avec le poids de la terre qui a tendance à s’écrouler. J’ai pratiqué un modelage à l’africaine, c'est-à-dire qu’on monte les choses les unes après les autres, avec des temps de séchages successifs.
Ensuite il y a ce qu’on appelle l’épreuve du feu : la mise au four, et alors là ça fonctionne ou bien ça ne fonctionne pas. Il va y avoir des fissures, des choses qui éclatent et des choses qui se tiennent. A ce moment-là tout le travail est fait mais on est dans l’attente du résultat.
Enfin il y a l’émaillage. C’est une étape chimique où j’ai travaillé en équipe avec Olivia Mortier, la céramiste qui m’a accompagnée. Avec Olivia nous avons cherché les couleurs. Ce ne sont pas des couleurs existantes dans le commerce mais c’est à chaque fois des couleurs créées. Je lui ai donné mes couleurs en aquarelle et elle les a retranscrites en émail. Ces sculptures étant profondément associées au lieu, j’ai travaillé ma palette chromatique à partir des couleurs que l’on retrouve sur le sol du hall, qui est également en mosaïque. Il s’agit d’une harmonie chaude, d’ocres, de bruns, de terres de sienne, gris, blancs.
FA : Est-ce que tu peux revenir sur ce que tu disais par rapport à la perspective et au fait que la sculpture soit en hauteur ?
FP : C’était la première fois que je travaillais sur une pièce qui allait être vue d’en bas, puisque la niche est assez haute. On voit le bas de la sculpture à niveau d'œil. Il y a donc un effet de perspective très fort et j’ai dû modeler différemment, en épaississant épaules et têtes pour que le point de fuite ne soit pas trop déformant, que tout devienne trop petit en haut. J’ai beaucoup travaillé en m’accroupissant au sol pour voir la sculpture d’en bas.
Il y a deux niches dans le hall, j’ai donc imaginé une symétrie pour les deux sculptures. Les deux pièces ont des masses similaires mais sans redites, avec des personnages distincts. Il y a aussi l’idée que les animaux ne sont pas tous à égalité. Dans chaque sculpture il y a un dominant : la tête du mouton (ou de la vache), ou bien la tête du singe (ou de l’ours) - il y a d’ailleurs une ambiguïté à chaque fois, certains voient un mouton d’autres une vache, certains disent que c’est un singe d’autres disent que c'est un ours, etc. Et sur ce dominant, il y a des figures qui poussent et qui sont plus ou moins effacées. Par exemple du cochon il ne reste que le groin tandis que d’autres animaux prennent plus de place. J’aimais bien l'idée que tout ne soit pas à la même force, c’est un peu comme des poussées organiques. Comme si c’était des chimères qui s’activent, comme si c’était naturel et que les choses allaient émerger, comme une naissance.
Entretien réalisé par Françoise Adamsbaum en septembre 2023, à l'occasion de l'inauguration des sculptures dans les niches de l'Institut.